Le 25 janvier dernier, Bercy a présenté son « programme d’actions » pour porter secours aux entreprises industrielles du territoire de la vallée de l’Arve.
Selon ce plan de relance, l’Etat, la Banque des Territoires et la Banque publique d’investissement débloqueront des fonds pour sauver l’industrie du décolletage sévèrement mise à mal par la crise du Corona virus. Des programmes d’accompagnement seront aussi mis en oeuvre au niveau régional pour accompagner les TPE et PME. D’autres structures locales ou nationales seront associées à ce plan de relance et en particulier le Syndicat national du décolletage qui participera au pilotage de l’opération.
La visite du Ministre Bruno Le Maire au chevet de notre vieille « Dame de Haute-savoie » ne sera donc pas restée sans suite et on peut se réjouir que le gouvernement, régulièrement interpellé par nos élus, ait pris conscience de la gravité de la situation. La vallée de l’Arve souffre des effets dévastateurs du Covid 19 sur l’économie française et tout particulièrement sur les marchés de l’aéronautique, de l’automobile et des biens d’équipements qui représentent plus de 80% du chiffre d’affaires de la filière. Depuis la crise sanitaire, les entreprises de la vallée principalement vouées à une activité de sous-traitance ont vu leurs carnets de commandes fondre comme neige au soleil.
Malgré les espoirs que suscite ce plan de relance, l’inquiétude persiste dans la vallée: ici, plus qu’ailleurs, on sait que le mal qui ronge l’industrie locale est un mal structurel beaucoup plus profond. En effet, la révolution numérique et écologique s’est amorcée dans le monde entier sans que les entreprises de la vallée aient eu le temps et les moyens d’amorcer leurs mutations. Une économie verte pour une planète bleue ! Voilà un slogan politique qui séduit les électeurs mais qui condamne les entreprises industrielles à des investissements très importants. La reconversion du thermique en électrique a un prix pour les constructeurs et les aides et prêts garantis de l’Etat (PGE) risquent de ne pas suffire pour affronter la concurrence internationale.
La vallée de l’Arve doit impérativement trouver les moyens de financer et de restructurer sa reconversion.
Pour ce faire, la Finance, via la technique de titrisation, pourrait ouvrir la voie de Partenariats Publics Privés (PPP) innovants: une société locale, voire des sociétés communales, ayant vocation à détenir des actifs industriels, financés par des investisseurs (publics ou privés) et mis à disposition des entreprises de la vallée.
La Titrisation est une technique financière qui consiste à transformer un actif, peu liquide, en titre obligataire.
Elle se caractérise donc par la cession de l’actif à une société ad-hoc qui en assure la seule détention et l’attribution au seul investisseur obligataire des revenus générés par cet actif
Elle fût créée aux Etats-Unis dans les années 1970 pour permettre aux établissements bancaires de se refinancer pour pouvoir répondre à la demande grandissante de leurs clients d’obtention de crédits hypothécaires. Les capacités de financement des banques étant limitées en fonction de leurs propres ressources, la titrisation leur a permis d’augmenter leur capacité de financement en cédant tout ou partie de leurs créances à des investisseurs et d’obtenir ainsi leur remboursement avant leur terme.
Ainsi, par cette technique, la banque se re-finance, sans attendre le terme de ses crédits. En qualité d’actionnaire de la société de titrisation, la banque garde la maîtrise de ses créances hypothécaires. Le tout, sans s’appauvrir puisque l’acquisition de ses propres créances a été financée par des investisseurs obligataires ayant souscrit aux obligations émises par la société de titrisation.
Sur ce modèle, les communes de la vallée de l’Arve pourraient constituer des « Sociétés communales de propriété » ayant uniquement vocation à détenir des actifs industriels. En qualité d’actionnaire, les Communes seraient autorisées à se présenter comme propriétaires juridiques des actifs à l’égard des tiers. En cette qualité, elles assumeraient les obligations juridiques et réglementaires liées à leur propriété.
Mais comme pour la société de titrisation, cette propriété ne serait utilisée qu’à des fins de garantie.
Cette propriété de la « Société communale » ne serait donc pas celle du droit civil traditionnel qui confère à son propriétaire un droit exclusif et absolu sur sa chose (article 544 du Code civil) mais une propriété « désintéressée » comprise comme un simple droit de détention pour sécuriser l’existence même de l’actif. Une propriété dépossédée de sa « valeur économique », laquelle serait attribuée aux investisseurs qui la financent et de sa « valeur d’usage », laquelle est concédée à un tiers exploitant: les industriels et décolleteurs locaux.
Sans valeur économique, puisque compensée par la dette, l’entité bénéficierait d’une « neutralité » comptable et fiscale. Cela permettrait de formaliser, au niveau de l’actionnariat de la « Société communale de propriété », des « partenariats » traduisant une « association juridique » de circonstance, dépourvue de toute incidence économique, entre associés publics et/ou entre associés publics-privés.
Ainsi, les Communes pourraient être seules actionnaires ou s’associer avec d’autres partenaires publics (comme par exemple la Région Auvergne-Rhône-Alpes ou une intercommunalité comme celle de Cluses, Arve & Montagnes) ou privés (une association ou un syndicat comme le Syndicat National du Décolletage).
Sur le modèle de la société de titrisation, la « Société communale de propriété » (SCP) financerait ses acquisitions par l’émission d’une dette obligataire souscrite par des investisseurs, publics ou privés. La commune, actionnaire de la « Société communale de propriété », n’aurait pas à financer par son budget municipal ces investissements.
Contrairement aux emprunts obligataires classiques qui font du souscripteur un prêteur, les investisseurs obligataires de la « Société communale de propriété » seraient qualifiés de propriétaire juridique d’un titre obligataire, dont le sous-jacent porte sur un actif économique. L’investisseur obligataire serait donc sécurisé par la maîtrise « économique » de son actif.
Ces investisseurs pourraient être privés mais aussi publics. Ainsi, l’Etat lui-même pourrait souscrire à ces obligations dont le sous-jacent serait constitué d’actifs industriels. Au lieu et place des aides et PGE qui font de l’Etat un créancier, ces obligations sécuriseraient l’Etat dans la mise en oeuvre de sa politique publique. Peut-être l’émergence d’une nouvelle forme d’Etat-providence caractérisée par une solidarité d’Etat entrepreneuriale ?
Financièrement, le capital de l’obligation correspondrait au coût d’acquisition de l’actif industriel. Sa maturité correspondrait à la durée de l’amortissement de l’infrastructure. Son rendement serait calculé pour qu’à l’issue de l’amortissement, l’investisseur ait été remboursé de son investissement.
Les taux d’intérêts négatifs du marché permettraient de rémunérer la dette à faible coût dans une logique de gestion non pas spéculative mais de gestion de trésorerie sécurisée. Des conditions financières plus compétitives que celles appliquées dans les opérations classiques de leasing.
Juridiquement, l’obligation émise par la « Société communale de propriété » offrirait un lien direct entre l’investissement et l’actif financé. Une seule ou plusieurs obligations pourraient financer un seul et même actif. La « maîtrise économique » de l’actif sécuriserait l’investisseur comme s’il en était le propriétaire juridique. Les obligations pourraient être cédées librement par leurs propriétaires avant leur terme.
L’entreprise exploitante pourrait parfaitement participer, totalement ou partiellement, au financement de ces infrastructures.
Dans un esprit participatif, on pourrait même imaginer que les résidents des Communes ou les salariés des entreprises participent au financement de certains actifs. Un investissement qui pourrait être l’amorce d’un plan de retraite bâti sur une économie de proximité pour tous les indépendants et salariés volontaires.
Comme la société de titrisation, la « Société communale de propriété » (SCP) aurait uniquement vocation à détenir les actifs industriels pour les sécuriser juridiquement. Ces actifs ne seraient donc pas gérés par leur propriétaire juridique mais par l’exploitant de l’activité industrielle dans le cadre d’un contrat de mise à disposition tenant compte de la conjoncture particulière et des préoccupations écologiques. La mise à disposition des actifs industriels aux entreprises pourrait donc être conditionnée à certains critères liés à la situation économique, sociale ou financière des entreprises ou à des pré-requis à respecter.
L’exploitant, lui-même structuré en société d’exploitation, serait donc libéré des contraintes et des risques du financement des actifs industriels: sans être contraint d’ouvrir son capital, il serait mis à l’abri des risques de dilution et de perte de contrôle de sa société; sans devoir s’endetter pour financer les actifs industriels dont il a besoin pour travailler, les contraintes du remboursement lui seraient épargnées.
Le capital (au sens financier) étant apporté par l’investisseur obligataire pour financer les actifs économiques de l’entreprise, le capital social (au sens juridique) de l’exploitant pourrait être réservé à celles et ceux qui travaillent dans l’entreprise (dirigeants & salariés) dans un esprit de participation aux résultats.
Cette participation salariale, préconisée par le Général De Gaulle au lendemain de la seconde guerre mondiale pour faciliter la reconstruction du pays, permettrait de mieux associer les salariés au redéploiement industriel et de les sécuriser, indépendamment de l’évolution de leurs salaires personnels.
De son côté, libérée d’un actionnariat exclusivement financier, la gouvernance de l’entreprise d’exploitation pourrait travailler librement à la réussite économique de l’entreprise sans subir l’impatience des investisseurs dans la perception de leurs dividendes.
Cette relation tripartite permettrait même à l’Etat de s’assurer que ses aides financières octroyées à des filiales françaises de groupe internationaux ne soient pas détournées de leurs objectifs d’investissement local.
Paradoxalement, ce serait sur le modèle financier de la Titrisation que la « Société communale de propriété » (SCP) marquerait le retour d’un capitalisme entrepreneurial responsable et sécurisé.
« Nous sommes en guerre » répétait le Président Macron à l’occasion de ses intervenions télévisées ! Mais les entreprises du décolletage ne remporteront pas seules la bataille de la ré-industrialisation.
Les entreprises, déjà sur-endettées, n’ont plus les moyens de financer leur reconversion et l’ouverture de leur capital à une finance internationale ne serait pas une solution sans risque.
C’est pourquoi, il nous faut ré-inventer une « économie d’intervention », pour reprendre les mots du talentueux acteur Fabrice Luchini, capable de concilier l’interventionnisme de l’Etat qui s’est imposé avec la crise du Corona virus, avec la préservation des capitaux et des modes de gouvernance privée. Des partenariats innovants caractérisés non plus par la titularité des partenaires, publics ou privés, mais par leurs fonctionnalités: celle de financer pour le capital et celle de gouverner pour le travail.
Dans le cadre de ce nouveau partenariat, le Capital, comme le Travail, pourraient être publics ou privés.
La pensée de Schumpeter doit nous guider dans cette reconstruction et nous faire renouer avec l’esprit d’entreprise. En mettant le capital, privé ou public, au service de l’entreprise, la « Société communale de propriété » revaloriserait le travail sans pénaliser le capital et participerait à la reconversion de l’industrie du décolletage.
Jamais les communes n’auront aussi bien servi l’intérêt général !
Jean-Philippe CLAVEL