LE « DEMANTELEMENT DE PROPRIETE » AU SECOURS DE L’ETAT-PROVIDENCE

Le monde est confronté à la pire crise sanitaire qu’il ait connu depuis un siècle; le Covid19 menace l’humanité toute entière, dans sa chair comme dans son économie. 

En dehors de quelques scénaristes de films catastrophes, qui aurait pu l’imaginer ?

Face à cet ennemi invisible, les Etats s’organisent et se protègent: priorité est donnée au confinement de la population et au rétablissement des frontières. 

« Nous sommes en guerre » répétait le Président Macron lors de sa dernière allocution télévisée. Et pour sauver la vie des hommes, comme celle des entreprises et de leurs salariés, le respect des critères de Maastricht n’a plus lieu d’être. Désormais, tout doit être fait pour enrayer l’épidémie, « quoi qu’il en coûte ! ».

Dans ce contexte international sans précédent qui nous fait plonger avec angoisse dans l’inconnu, on s’inquiète bien sûr pour la santé des siens. 

Mais on peut aussi affronter cette épreuve avec une dose d’optimisme et se surprendre à rêver qu’une fois le risque sanitaire circonscrit, le monde, grâce au Covid19, ne fonctionnera plus jamais comme avant. 

Car le Covid19 ne fait pas que ôter la vie à des milliers de personnes. Par sa soudaine et imprévisible apparition, le virus semble avoir fait prendre conscience aux plus puissants de ce monde que, pour la survie de l’humanité, il est des biens et services qui doivent se situer hors marché et être mis à l’abri des pièges de la mondialisation et de l’exigence de rentabilité.

Mais déjà la presse se fait écho du retour de vielles recettes socialistes comme de possibles nationalisations …

On peut certes regretter que la lutte contre la pauvreté ou celle du réchauffement climatique n’ait pas réussi jusqu’à présent à mobiliser autant de conscience politique et autant de moyens financiers. Même les appels au secours de l’hôpital public n’ont jamais vraiment été pris au sérieux…. 

Mais prenons garde de ne pas réduire la défense de l’intérêt général à des mesures idéologiques et des initiatives politiques d’un autre âge qui ont démontré dans le passé, chez nous comme ailleurs, leur inefficacité. Il nous faut impérativement sortir de ces politiques binaires qui nous enferment depuis trop longtemps entre le tout marché ou le tout Etat, entre les privatisations et les nationalisations, entre le capitalisme ou le socialisme.

Pour défendre l’intérêt général et tenter ainsi de corriger les dérives d’un capitalisme financier qui profite abusivement d’un droit de propriété exclusif et absolu, il nous faut ré-inventer un nouvel Etat-providence, et légiférer pour lui donner la possibilité de s’approprier « autrement » certains biens et certaines choses, considérés comme essentiels pour l’intérêt commun, dans le respect de la liberté individuelle, du droit de propriété et de l’économie de marché.

Le « démantèlement de propriété » qui propose de distinguer, au sein de la pleine propriété, la propriété économique de la propriété d’usage, pourrait ainsi venir au secours de cet Etat-providence en lui donnant les moyens d’agir, tantôt en propriétaire d’usage, tantôt en propriétaire économique.

En s’appropriant la propriété d’usage, l’Etat-providence servirait l’intérêt général par le simple exercice de sa gouvernance.

Cette gouvernance serait exercée, soit directement par l’Etat-providence, dans le cadre d’une gestion publique, soit indirectement par un tiers dans le cadre d’une concession de droit d’usage, comme c’est le cas aujourd’hui en l’état actuel du droit.

Mais la possibilité d’exercer les prérogatives d’une propriété d’usage sans propriété économique faciliterait, pour l’Etat-providence, l’accomplissement de sa mission.

D’abord elle permettrait à l’Etat-providence de multiplier les investissements pour servir l’intérêt général puisque pour financer ses politiques et ses infrastructures, il ne serait plus contraint d’augmenter l’impôt ou la dette. Dans ce contexte, le « démantèlement de propriété » serait un facteur de création de richesse mis au service de la collectivité.

Ensuite, elle permettrait à l’Etat-providence de s’enrichir en cédant la propriété économique de certaines infrastructures rentables (aéroports, autoroutes etc …) à des investisseurs, tout en se gardant la propriété de leur gouvernance.

Le « démantèlement de propriété » permettrait donc à l’Etat-providence de poursuivre sa mission de représentant de l’intérêt général tout en répondant avec efficacité à ses besoins de trésorerie.

On pourrait même imaginer que l’exercice de la propriété d’usage soit octroyé dans le cadre d’une concession, au propriétaire économique. Dans cette hypothèse, l’Etat providence se donnerait, en cas de nécessité, les moyens d’agir pour faire respecter l’intérêt général, au lieu d’assister impuissant à certains abus constitués postérieurement à une cession en pleine propriété.

Le « démantèlement de propriété » aurait par exemple permis d’éviter que le groupe chinois Casil qui s’était porté acquéreur de l’aéroport toulousain ne réalise, sans aucune justification économique, une confortable plus-value de 200 millions d’Euros sur le dos de l’Etat et des Collectivités à l’occasion de la revente de ses actions au groupe Eiffage.  La concession d’un droit d’usage à ce groupe chinois  qui se serait porté acquéreur dans le même temps de la propriété économique aurait donné aux collectivités publiques un droit de regard voire même un droit de véto sur cette transaction qui met en évidence les dérives d’un capitalisme financier qui s’exprime sous la forme d’un « actionnariat prédateur », contre les intérêts de l’aéroport et contre l’intérêt général.

En réalité, c’est l’ensemble des collectivités publiques qui pourrait profiter de ce « démantèlement de propriété » et les communes en particulier. Le « démantèlement de propriété » viendrait ainsi au secours des « Communes-providence » en leur donnant les moyens d’implanter dans leurs villages et territoires ruraux des activités commerciales de toutes sortes (poste, station service, crèche, école, alimentation etc …). Un « démantèlement de propriété » pour sauver les communes de la désertification et des intercommunalités qui les assassinent.

A l’inverse, en s’appropriant la seule propriété économique, l’Etat-providence servirait l’intérêt général en agissant financièrement pour aider et favoriser, la création et le développement, de biens et services qu’il jugerait utiles à l’intérêt général.

Mais cette « générosité » d’Etat ne se ferait pas à fonds perdu, sans vision à long terme, sans perspective, sans logique économique et sous une forme d’assistance passive. En qualité de propriétaire économique, l’Etat-providence investirait dans une logique entrepreneuriale et serait donc en droit de récolter, le moment venu, les fruits de sa générosité, par la rémunération de ses investissements; un enrichissement par la vertu qui n’aurait rien de condamnable en soi, bien au contraire !

Dans cette nouvelle « solidarité entrepreneuriale », les « Communes-providence » trouveraient sans doute, elles aussi, les moyens d’agir pour sauvegarder l’intérêt général communal !

Perchée sur une montagne de Haute-Savoie, la petite Commune d’Araches-La Frasse aurait peut-être pu trouver dans le « démantèlement de propriété » la solution pour assurer, sans préempter, la pérennité d’un hôtel, au coeur du village, mis en vente par le propriétaire; un établissement que beaucoup d’habitants auraient souhaité voir préservé en raison de sa situation géographique, de son histoire et de son architecture.

Si le « démantèlement de propriété » avait existé, la Commune aurait pu acquérir la propriété économique de l’hôtel et confier la propriété de l’usage, c’est à dire sa gestion, à un exploitant distinct.

Il y a même fort à parier que vues les circonstances, le propriétaire vendeur aurait même pu être séduit par l’idée de garder lui-même la propriété de l’usage de l’hôtel et donc de poursuivre lui-même son exploitation; une fois enrichi et/ou sécurisé par la vente de la propriété économique de l’hôtel à la commune.

De son coté, au lieu de s’appauvrir par un coûteux droit de préemption, la commune aurait pu voir son investissement rémunéré par l’exploitant et peut-être même s’octroyer, en cas de revente, une plus-value. 

Sans « démantèlement de propriété », l’hôtel a finalement été vendu à un promoteur. Il sera détruit; et à sa place, un immeuble d’habitation sera construit.

En pleine crise sanitaire et économique comme celle que nous traversons, le « démantèlement de propriété » pourrait prendre une toute autre ampleur !

Dans ce contexte inédit, l’appropriation de la propriété économique par l’Etat-providence des entreprises en grande difficulté permettrait peut-être de trouver une solution pour concilier la protection des entreprises et des intérêts de l’Etat !

Certes, l’heure n’est pas encore aux comptes mais à la préservation des vies humaines. Mais nous devons impérativement d’ores et déjà réfléchir à des solutions alternatives aux simples aides d’Etat ou aux nationalisations; les Etats n’auront pas nécessairement les moyens de venir en aide à toutes les entreprises sans craindre leur propre faillite et la prise de contrôle des entreprises privées par une entrée à leur capital de l’Etat ne sera certainement pas un gage de compétence !

Dans ce contexte de tension extrême, on peut imaginer que l’application du « démantèlement de propriété » permettrait de trouver des solutions alternatives aux privatisations ou aux nationalisations. La mise à disposition de fonds publics à une entreprise privée pour répondre à une situation de crise permettrait un soutien politique et financier de l’Etat dans des conditions à déterminer, sans pour autant que l’Etat ne soit contraint, soit de s’impliquer dans la gouvernance des entreprises en difficultés, ce qui n’est pas son rôle, soit « d’abandonner » son capital dans une sorte de générosité désintéressée; l’Etat n’en a pas les moyens.

La crise sanitaire est bien présente mais la crise économique est devant nous !

La gestion des intérêts nationaux sera d’une complexité immense mais, comme disait l’autre, les idées les plus simples sont parfois les meilleures, si elles ont la chance de parvenir aux oreilles de nos politiques et que ceux-ci prennent le temps et la peine de solliciter leurs juristes pour leur donner force de loi.

Jean-Philippe CLAVEL

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