« REPENSER » LA PROPRIETE POUR PLUS DE RICHESSE ET MOINS D’INEGALITE

Depuis l’aube des temps, la propriété accompagne l’homme à travers l’histoire, dans sa quête de sécurité comme dans sa conquête de liberté. 

Originellement perçue comme un simple instinct naturel d’appropriation, source de sécurité physique et morale, la propriété privée, alliée à la liberté capitaliste, s’impose depuis la fin du XVIII ème siècle comme une composante essentielle du libéralisme économique, au service des intérêts privés et de l’intérêt général. 

Avec l’effondrement des économies communistes, elle finira même par transcender les clivages gauche – droite et s’imposera dans nos sociétés modernes, non plus seulement comme « un besoin de l’âme » cher à Simone Weil, mais comme une évidence.

Mais en ce début du XXI ème siècle, l’épanouissement individuel généré par la propriété, sa capacité à contribuer à l’harmonie économique et sociale de nos sociétés semblent de plus en plus contestés. La propriété privée, en tant qu’appropriation des choses et des biens, parait même remise en cause:

– Remise en cause par la révolution numérique qui a engendré une nouvelle économie, dite économie collaborative ou économie de partage, qui privilégie l’usage à la possession des biens. Avec l’ubérisation apparait un nouveau mode de consommation moins centré sur la propriété que sur l’utilisation;

– Remise en cause par le dérèglement climatique qui a réactualisé la notion ancienne mais oubliée de « bien commun ». L’urgence climatique a fait prendre conscience que certaines richesses naturelles comme l’eau, les forets et même la terre, nécessaires à la survie de l’espèce humaine, devaient être protégées et nécessitaient peut-être d’autres types de gouvernance que la propriété privée;

– Remise en cause par un capitalisme financier désormais décoléré de la liberté d’entreprendre. En privilégiant la création de richesse par le capital plutôt que par le travail, la « main invisible » d’Adam Smith a fini par se refermer sur quelques privilégiés, faisant de leur propriété privée, non plus une source d’enrichissement collectif mais un simple amassement stérile. En 2017, plus de 80% de la richesse mondiale appartenait au 1% les plus riches !

Face à cette apparente impuissance de la propriété privée à répondre aux défis de notre temps, le clivage gauche / droite refait surface !

A gauche, certains souhaitent ressusciter les mauvais démons de l’étatisme et de l’interventionnisme; rebâtir une propriété publique; spolier la propriété privée … au nom de l’égalité et de l’intérêt général. Dans le socialisme soviétique hyper-étatique de Jean-Luc Mélanchon comme dans le « socialisme participatif » de Thomas Piketty, la propriété privée, complice du capitalisme, n’a plus sa place. Dans leur nouveau monde, l’utilisateur des biens collectifs n’est plus propriétaire. La réanimation des « Commun », contre la propriété, comme celle de Pierre Dardot et de Christian Laval, sonne comme une résurgence des vieux rêves marxistes. 

A droite, les libéraux cherchent, au contraire, à convaincre l’Etat de « laisser-faire » et voient dans la privatisation du monde le seul moyen de répondre efficacement aux défis de notre temps. Lutter contre les inégalités par les subventions, les taxes, les quotas ou la règlementation conduirait inéluctablement à la faillite économique. Seule la propriété privée, garante de la liberté, serait à même de préparer nos sociétés modernes à affronter l’avenir, adossée à une libre concurrence, à la loi du marché et à la recherche du profit. Mais, n’est ce pas  oublier qu’il faille s’adapter aux nouvelles données de la modernité ? 

Et pendant que les défenseurs de la propriété publique ou de la propriété privée s’affrontent, le néo-libéralisme triomphe; un « entre deux » ou un « en même temps » désormais bien encré sur l’échiquier politique, de la gauche libérale à la droite sociale, sur lequel le président Macron règne en maitre. Entre elles, la différence n’est plus dans la nature mais dans la mesure: plus ou moins d’Etat, plus ou moins de marché, plus ou moins d’égalité, plus ou moins de liberté !

La propriété privée a dans le passé, structuré nos territoires et fait prospérer nos sociétés, comme le rappellent à juste titre les libéraux. Mais elle doit aussi poursuivre son œuvre égalitaire. Elle doit permettre de sortir de ces alternatives binaires ou de ces « entre deux » sans conviction et redéfinir la propriété du XXI ème siècle pour plus de richesses et moins d’inégalités. Pour cela, il faut, comme le suggère l’économiste Gaël Giraud, « repenser » la propriété, imaginer une autre façon d’être propriétaire, la « démanteler » : autoriser la propriété économique sans propriété d’usage et la propriété d’usage sans propriété économique. Telle est l’ambition majeure du « démantèlement » de propriété

En autorisant la propriété économique sans la propriété d’usage, le « démantèlement de propriété » offrira au capitalisme les moyens de s’exprimer pleinement. Libéré des contraintes juridiques et règlementaires de la pleine-propriété, l’investisseur sera sécurisé dans sa propriété et dans son unique droit de percevoir ses revenus. Il assumera pleinement et sans complexe le rôle du « capitaliste » : celui d’investir pour s’enrichir et avec lui, la collectivité toute entière.

Mais en autorisant la propriété d’usage sans propriété économique, le « démantèlement de propriété » offrira au capitalisme un visage humain car l’accès à la propriété ne sera plus réservé à celles et ceux qui ont les moyens de financer la pleine-propriété. Il sera désormais possible d’exercer son droit d’usage grâce à l’argent des autres, en ayant su séduire par son travail, par ses compétences et son savoir-faire, le propriétaire économique. Devenir propriétaire, grâce à son capital ou grâce à ses qualités humaines, le « démantèlement de propriété » sera la symbolique d’un « libéralisme égalitaire » grâce à une égalité des chances retrouvées. 

Ensemble, la propriété économique et la propriété d’usage, constitueront une pleine-propriété au sens juridique du terme. Dissociées, l’une de l’autre, elles existeront chacune en totale autonomie, liées entre elles par l’accord contractuel passé entre le propriétaire économique, titulaire du droit de percevoir un revenu de sa chose ou de son bien, et le propriétaire juridique « simple », titulaire du droit d’usage de cette même chose et de ce même bien.  

Cette co-existence égalitaire de la propriété économique et de la propriété d’usage révolutionnera également la gouvernance des choses et des biens. 

La gestion des biens privés ne sera plus otage d’une vision purement financière et exclusivement lucrative. Une fois le propriétaire économique rémunéré de son investissement, dans les conditions contractuellement convenues entre eux, le propriétaire de l’usage pourra s’exprimer librement. Ce nouveau mode de gouvernance « partagée » permettra de prendre en compte l’environnement et les richesses naturelles dans des projets économiques de toutes sortes. 

Mais la gestion des biens publiques bénéficiera aussi d’une gouvernance d’Etat (ou des autres collectivités publiques) ré-inventée. Les représentants de l’intérêt général pourront ainsi reprendre la main, dans une nouvelle conception entrepreneuriale de l’Etat-providence, fidèle à l’ordo-libéralisme, et arbitrer, entre une propriété économique et une propriété d’usage, mises au service du bien commun.

Cette dissociation de la propriété économique et de la propriété d’usage se matérialisera exclusivement au sein d’une société (société d’intérêt privé ou société d’intérêt général) au sein de laquelle l’actionnaire sera le propriétaire juridique du droit d’usage et l’investisseur obligataire le propriétaire économique des revenus. Entre eux, l’obligation émise par la société et souscrite par le propriétaire économique, pour permettre à la société d’acquérir et/ou d’investir matérialisera leur accord dans le plus pur respect de la liberté contractuelle. 

Cette entité permettra de donner un cadre juridique, comptable et financier à l’entreprise au sein duquel sa nouvelle responsabilité sociale (RSE) pourra trouver sa place.

Elle permettra également de résoudre l’un des paradoxes du libéralisme, à savoir, l’acceptation en société d’une liberté sans responsabilité: les sociétés à responsabilité limitée. Cette irresponsabilité du propriétaire du capital et indirectement de la gouvernance participe incontestablement aux dérives du capitalisme financier. En dissociant la propriété économique de la propriété d’usage au sein d’une entité de type société, le « démantèlement » de propriété préservera l’irresponsabilité de l’investisseur, essentielle à tout projet économique, en lui octroyant un statut d’investisseur obligataire et préservera une liberté d’usage responsable, au niveau de la gouvernance, grâce à une nouvelle conception de l’actionnariat, moins capitaliste et plus laborieuse, à laquelle les salariés pourront participer.

Plus qu’une simple redéfinition de la propriété, c’est donc un véritable projet politique qui s’inscrit dans le respect de la propriété privée et de la tradition du libéralisme économique, mettant en évidence une répartition des prérogatives de la propriété entre les individus, selon leur propre compétence et leur propre volonté.

Le « démantèlement de propriété » qui dissocie, au sein même de la propriété, la propriété économique de la propriété d’usage, pourrait ainsi être le fer de lance d’un projet politique appréhendant la propriété d’une façon alternative, comprise d’avantage comme une nouvelle relation contractuelle entre les Hommes plutôt que comme un pouvoir exclusif et absolu sur une chose, mais dans le respect de notre tradition juridique romano-germanique qui définit la propriété par ses trois attributs: l’usus (le droit d’user de sa chose), le fructus (le droit d’en percevoir les fruits) et l’abusus (le droit d’en disposer).

Le « démantèlement  de propriété » n’aurait donc pas vocation à doter le propriétaire privé d’encore plus de pouvoir dans un monde libertaire sans foi ni loi. Il n’aurait pas non plus pour objectif de lui ôter certaines prérogatives dans un espace de vie étatisé asphyxié par une régulation mortifère. 

Le « démantèlement de propriété » aurait pour objectif de donner à l’Homme du XXIème siècle les moyens de sa liberté dans sa relation avec les choses en optant pour la propriété économique (le fructus), pour la propriété d’usage (l’usus) ou, comme c’est le cas aujourd’hui, pour les deux.

Un projet politique, constructif et optimiste, tourné vers l’avenir, fondé sur la libéralisation et l’initiative plutôt que l’interdiction et la taxation, au sein duquel, tout en restant fidèle à son passé et à son histoire, la propriété privée ainsi « démantelée » poursuivra son oeuvre au service des Hommes et des territoires.

Jean-Philippe CLAVEL 

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